Appel à communication - colloque international du consortium Huma-Num Canevas
Présentation
La conception, l’analyse, la mise en circulation ou encore l’archivage de films ou de vidéos sont au cœur d’un nombre croissant de projets de recherche en Arts, Lettres, Langues, Sciences humaines et sociales. L’avènement d’outils numériques a accéléré ce mouvement : annoter, conserver, partager des documents audiovisuels sont ainsi devenues des pratiques courantes pour nombre de chercheur·se·s, malgré les difficultés techniques et scientifiques que ces corpus continuent de poser. Ce colloque international porte sur les différentes approches et méthodes appliquées à l’exploration de documents audiovisuels nativement numériques ou numérisés. Il vise à réunir des chercheur·se·s de différentes disciplines (histoire, sociologie, sciences de l’information et de la communication, sciences de l’éducation, études cinématographiques, arts de la scène, anthropologie, etc.) autour de cas d’études et d’expériences concrètes.
Description de l’événement
La conception, l’analyse, la mise en circulation ou encore l’archivage de films ou de vidéos sont des problématiques anciennes dans le champ des études en Arts, Lettres, Langues, Sciences humaines et sociales. Ces pratiques sont bien sûr au cœur des études cinématographiques (Metz, 1977 ; Aumont & Marie, 1989) et des études visuelles (Bartholeyns, 2016 , Pinotti et al., 2022). En histoire ou en anthropologie, elles sont répandues et même institutionnalisées depuis des dizaines d’années (Ferro, 1974 ; Rousso, 1987 ; Colleyn, 1994). Progressivement, elles ont pénétré d’autres disciplines comme la sociologie (Sorlin, 1977 ; Tessier, 1999, Sebag & Durand, 2020), les sciences de l’éducation (Jacquinot, 2012), les sciences de l’information et de la communication (Odin, 2011 ; Soulez, 2011 ; Scopsi, 2010) ou encore les recherches portant sur le spectacle vivant (Bardiot, 2020 ; Chantraine-Braillon, 2022 ; Le Marec & Sauret, 2016).
L’avènement de l’informatique, du numérique et d’internet a tantôt installé, tantôt renforcé ces pratiques. Une numérisation qui a facilité le partage de contenus, mais aussi d’actions – auparavant réservées aux professionnel·les de l’audiovisuel – comme la réalisation de vidéos ou le montage. La production de plus en plus massive de documents audiovisuels numériques (DAN), ainsi que leur circulation accélérée sur Youtube, Vimeo ou les réseaux sociaux numériques tels que TikTok ou Instagram ont ouvert de nouveaux continents de recherche. Dans ce contexte, les chercheur·se·s ont modifié leurs manières de travailler en profitant des outils numériques pour constituer de nouveaux corpus et imaginer de nouvelles méthodes de travail (Bourgatte, 2012 ; Ouvrard & Farge, 2022 ; Sensevy, Tiberghien, Veillard, 2022).
La plateforme Mediascope de l’INAthèque a ainsi fourni une solution adaptée à l’exploration qualitative des fonds de cette institution ; d’autres logiciels ont également été développés dans le cadre de projets de recherche comme Advene, Lignes de temps ou encore Annoto et ont constitué des réponses partielles ou temporaires aux besoins des chercheur·se·s (Aubert, Prié & Schmitt, 2012 ; Puig & Sirven, 2007 ; Blau, 2021). Des expérimentations autour de l’intelligence artificielle – comme c’est le cas avec Distant Viewing – ont également vu le jour ces dernières années (Arnold & Tilton, 2023). Mais aucune méthode et aucune solution technologique ne s’est imposée durablement au sein des différentes disciplines des SHS (Melgar-Estrada & Koolen, 2018) ou parmi la communauté des chercheur·se·s en humanités numériques, alors même qu’un des principaux enjeux de ces dernières est précisément de s’emparer de toutes les formes de littératies « hors du livre », qu’il s’agisse de nouvelles formes de cultures orales, visuelles, audiovisuelles ou multimédiatiques (Clivaz & Vinck, 2014).
Face aux corpus audiovisuels, des formes de bricolage subsistent et contrastent avec les avancées plus nettes réalisées dans le champ de l’analyse instrumentée de textes (Pulizzotto, 2019). Outre une méconnaissance des outils ou des hésitations concernant leur usage, les recherches portant sur les DAN restent prises en étau entre des moments d’enthousiasme (apparition de nouvelles méthodes ou de nouvelles technologies) et d’autres de déception (résultats insatisfaisants, prise en main difficile des outils, problèmes techniques récurrents, etc.) (Bourgatte & Tessier, 2017 ; Besson & Lavorel, 2023). Les chercheur·se·s continuent ainsi souvent à travailler en prenant des notes sur papier ou dans un traitement de texte, ce qui ne facilite pas la circulation dans le matériau filmique et encore moins sa valorisation.
Si l’étude des DAN pose des problèmes, d’autres questions sont également à prendre en considération, comme celles de la conservation, de la médiatisation et du partage des matériaux et résultats de recherche, qu’il s’agisse des contenus audiovisuels eux-mêmes, de métadonnées ou d’annotations (Fleckinger, 2011). Les chercheur·se·s s’interrogent en effet de plus en plus sur les modalités d’archivage, de valorisation et d’échange de leurs ressources. Là encore, plusieurs services ou plateformes constituent des solutions qu’il est possible de mobiliser (Youtube, Archive.org), mais aucune d’entre elles ne parvient à s’imposer définitivement, ceci pour différentes raisons : adaptation du service aux besoins, standards ou formats de données, sécurité, droit, éthique, etc. Sur tous ces sujets, un mouvement collectif d’instrumentation scientifique devrait ouvrir de nouvelles perspectives en simplifiant les procédures, en permettant des fouilles plus systématiques, en pérennisant les résultats et en favorisant le partage, dans une dynamique de science ouverte. La question du caractère libre et open-source des technologies déployées ou utilisées pour l’exploration des DAN est, en ce sens, tout à fait centrale.
C’est à partir de ces observations que le Consortium pour l’ANnotation, l’analyse Et l’archive de la Vidéo appliquées aux Activités Scientifiques (CANEVAS) a vu le jour et a été labellisé par Huma-Num en 2022. Hébergé par la Maison des Sciences de l’Homme – Paris Nord, son objectif est précisément d’instrumenter les recherches en SHS autour des contenus audiovisuels et des corpus vidéo en facilitant des actions telles que : annoter, commenter, analyser, fouiller, partager ou archiver. Pour cela, les membres du consortium contribuent à développer des outils, des standards (FAIR) et soutiennent la mise en œuvre de bonnes pratiques. Avancer sur ces chantiers implique de répondre à une question essentielle qui sera au cœur du colloque organisé par ce consortium : comment les chercheur·se·s procèdent-ils concrètement ? Quelles méthodes, mais aussi quelles tactiques mettent-ils en place pour travailler sur des corpus audiovisuels et partager les résultats de leurs investigations ?
Axes de réflexion proposés
Les communications proposées devront présenter un corpus audiovisuel, la méthodologie mise en œuvre, les outils employés pour exploiter ce corpus, ainsi que les résultats de recherche. Parmi les dimensions abordées dans ces communications, les éléments suivants pourront (de manière non limitative) être traités :
L’annotation des DAN. La prise de notes est en effet le support naturel de toute activité de recherche (qu’elle porte d’ailleurs ou non sur la vidéo) : des logiciels spécifiques sont-ils mobilisés ou, au contraire, des stratégies de contournement ou de bricolage sont-elles mises en œuvre (Archat-Tatah & Bourgatte, 2014 ; Boutin & Laborde, 2023) ?
L’archivage de la vidéo. Celui-ci est nécessaire pour garantir la consultation et la conservation des DAN (Véray, 2011 ; Maeck & Steinle, 2016). Quels sont les choix technologiques les plus pertinents ? Peut-on et doit-on se fier à des opérateurs privés (Youtube, Viméo) ou, au contraire, se tourner vers des plateformes publiques ? Quel rôle joue par exemple un acteur comme l’Internet Archive? Quelles alternatives existent aujourd’hui ?
Le partage des DAN au sein d’une communauté de pairs est parfois nécessaire dans le cadre d’un projet de recherche collaborative ou d’une activité pédagogique (Fournout, Beaudouin & Ferrarese, 2014 ; Kaufman & Mohan, 2009). Comment mettre en œuvre ces projets collaboratifs et à quelles conditions peuvent-ils atteindre leurs objectifs ?
La publication et la médiatisation des résultats de recherche dans des formats audiovisuels ou reposant sur l’exploitation de ressources audiovisuelles sont là aussi une nécessité pour de nombreux projets, qu’il s’agisse de présenter un terrain ou d’administrer des preuves (Lacković, 2018). Dans un contexte où la publication écrite des résultats de recherche reste centrale (articles de revues, chapitres de livres ou ouvrages), quelles solutions peuvent être envisagées ?
Les questions de droit (à l'image ou d'auteur) que posent les DAN se configurent de différentes manières en fonction du type de vidéo (produites ou non dans le cadre de la recherche) et elles pourront aussi être abordées.
Enfin, la question des standards et des formats choisis pour les documents audiovisuels eux-mêmes, leurs métadonnées et les données textuelles ou multimédias pourra représenter un axe de réflexion. Comment s’emparer de cette question et comment œuvrer à l’adoption de standards et de formats communs ? Cela est-il d’ailleurs nécessaire et souhaitable ?
Les participantes et les participants à ce colloque sont invité·es à répondre à une ou plusieurs de ces questions en s’appuyant sur leurs propres terrains et leurs propres expériences. Au-delà ou en deçà de la présentation de leurs résultats de recherches, ce colloque s’intéressera aussi à la manière dont elles ou ils ont procédé, aux difficultés qu’elles ou ils auront rencontrées, aux technologies qu’elles ou ils auront expérimentées.
Modalités de soumission des propositions
Les propositions de communication, de maximum2000 signes (espaces compris, références bibliographiques incluses) accompagnées d’un titre sont à déposer avant le 19 février 2024 sur https://corpusaudiovisuels.sciencesconf.org dans "Soumettre une proposition". Une réponse sera envoyée le 11 mars2024. Une publication paraîtra à l’issue du colloque. Les propositions et les communications pourront être en français ou en anglais.
Bibliographie
Archat-Tatah, Caroline, Bourgatte, Michaël (2014). « Vers des formes instrumentées d’enseignement et d’apprentissage : le cas de l’analyse de contenus audiovisuels », Eduquer Former, no 46, 69‑92.
Arnold, Taylor, Tilton, Lauren (2023). Distant viewing: computational exploration of digital images, MIT Press
Aubert Olivier, Prié, Yannick (2005). « Advene: Active Reading through Hypervideo », in Proceedings of ACM Hypertext'05, 235-244.
Aumont Jacques, Marie, Michel (1989). L’analyse des films, Nathan.
Bartholeyns, Gil (dir.) (2016). Politiques visuelles, Les Presses du Réel.
Besson, Rémy, Lavorel, Marie (2023). L’annotation vidéo pour la recherche. Usages et outils numériques, MkF.
Blau, Ina, Tamar, Shamir-Inbal (2021). « Writing private and shared annotations and lurking in Annoto hyper-video in academia: insights from learning analytics, content analysis, and interviews with lecturers and students », Educational Technology Research and Development, 69-2, 763‑786.
Bourgatte, Michaël (2012). « L’écran-outil et le film-objet », MEI, 34, 103‑120.
Boutin, Perrine, Laborde, Barbara (2023). « La pratique de l’essai vidéo comme forme d’empowerment », in Camille Roelens & Chrysta Pélissier (dir.), Éthique, numérique et idéologies, Presses des Mines, 175-194.
Chantraine-Braillon, Cécile (2022), « L’École du spectateur : informatiser la recherche en arts de la scène », Humanités numériques, 5, https://doi.org/10.4000/revuehn.2849
Clivaz, Claire, Vinck, Dominique (2014). « Introduction. Des humanités délivrées pour une littératie plurielle», Les Cahiers du numérique, vol. 10-3, 9-16.
Fleckinger, Hélène (2011). Cinéma et vidéo saisis par le féminisme (France, 1968-1981), Thèse de doctorat, Paris 3 Sorbonne Nouvelle.
Fournout, Olivier, Beaudouin, Valérie, Ferrarese, Estelle (2014) « De l’utopie numérique à la pratique : le cas de l’annotation collaborative de films », Communication & Langages, 180, 95-120.
Lacković, Nataša (2018). « Analysing videos in educational research: an “Inquiry Graphics” approach for multimodal, Peircean semiotic coding of video data », Video Journal of Education and Pedagogy, 3-1. https://doi.org/10.1186/s40990-018-0018-y
Le Marec, Joëlle, Sauret, Nicolas (2016). « Archivage de répétitions et médiations du spectacle vivant. Le cas du projet spectacle en ligne(s) », Les Cahiers du numérique 12-3, 139‑164.
Maeck, Julie, Steinle, Matthias (2016). L’Image d’archives. Une image en devenir, Presses universitaires de Rennes.
Melgar-Estrada, Liliana et Koolen, Marijn (2018). « Audiovisual media annotation using qualitative data analysis software: A comparative analysis », The Qualitative Report, 23-13 : 40-60.
Ouvrard, Louise & Farge, Odile (dir.) (2022). Corpus audiovisuels : Quelles approches ? Quels usages ?, Editions des Archives Contemporaines.
Pinotti, Andrea, Somaini, Antonio, Burdet, Sophie, Aubry-Morici, Marine (2022). Culture visuelle : images, regards, médias, dispositifs, Les Presses du Réel.
Puig, Vincent, Sirven, Xavier (2007). « Lignes de temps, une plateforme collaborative pour l’annotation de films et d’objets temporels », in Proceedings IHM’07.
Pulizzotto, Davide (2019). « L’analyse de texte assistée par ordinateur : introduction à l’un des champs fondamentaux de la sémiotique computationnelle », Cygne noir, 7, 17‑41.https://doi.org/10.7202/1089328ar
Scopsi, Claire, Gouet-Brunet, Valérie, Guillaume, Louis-Pierre, Nayrolles, Lise, Battisti, Michèle (2010). « Les nouveaux territoires de la vidéo », Documentaliste-Sciences de l’Information, 47-4, 42‑53.
Sebag, Joyce & Durand, Jean-Pierre (2020). La sociologie filmique. Théories et pratiques, Paris, CNRS, coll. « Sciences politiques et sociologie ».
Sensevy, Gérard, Tiberghien, Andrée, Veillard, Laurent (2022). « VISA : un outil de mutualisation des matériaux empiriques de la recherche », in Brigitte Albero & Joris Thievenaz (dir.), Enquêter dans les métiers de l’humain, Éditions Raison et Passions, 413‑426. https://doi.org/10.3917/rp.alber.2022.03.0413
Soulez, Guillaume (2011). Quand le film nous parle : rhétorique, cinéma, télévision, PUF.